Vous êtes plusieurs à m’avoir demandé des nouvelles du monde céleste ces dernières semaines et comme cela fait effectivement un petit moment que je n’ai pas eu de nouvelles, je me suis décidée à contacter Lelahel, qui est mon contact direct là-bas.
Ainsi, par un après-midi de mi-Novembre, j’ai enfilé un legging, un t-shirt noir et mes vieilles baskets bleues virant sur le vert d’eau. J’ai mis mon collier en pierres de calcédoine et j’ai couvert mon chef d’un grand feutre à larges bords où j’avais planté une plume d’oie.
Normalement, pour être plus efficace (et surtout plus esthétique), il aurait fallu une plume de paon mais des paons, en plein cœur de ma Dordogne, ça ne courent les rues, ni mêmes les campagnes, alors que les oies, si ! Certes, j’ai eu quelques mots avec l’oie à qui j’ai piqué la plume mais ça contrebalance les nuisances sonores qu’elle m’inflige quand je viens lui dire bonjour. Je ne vais pas m’appesantir ici, mais pour ceux qui n’auraient pas expérimenté, les oies sont non seulement susceptibles (elles crient quand vous ne les saluez pas) mais en plus mal élevées (elles vous feulent dessus quand vous vous approchez pour leur piquer une plume). Tout ça pour vous dire, que même s’il ne s’agit pas d’une plume de paon, j’ai quand même bien du mérite d’avoir orné mon chapeau.
J’étais donc fin prête pour la transmission du message. J’ai attrapé l’enveloppe contenant une missive courte mais où j’avais mis mes tripes (Bonjour Lelahel, Cela fait longtemps que je ne t’ai pas écrit. Comment vas-tu et comment se porte le monde céleste ? Ici, tout va bien à part le prix du pain qui augmente, la guerre dans le monde et Noël qui approche. La routine, en somme ! Je serais heureuse de te lire quand tu en auras le temps. Amitiés. Renee-Lou). J’avoue avoir un peu hésité sur le conditionnel de « serais heureuse de te lire » et envisagé un futur mais je n’ai pas voulu lui donner l’impression de lui forcer la main. Un ange reste un ange et on lui doit un certain respect.
Lettre en main droite, je me suis mise en position de garde de sabre, en sixte offensive. Dans la main gauche repliée dans mon dos, je tenais un ensemble de baguettes en bois japonaises. J’ai fait deux marches, trois retraites, j’ai écouté le vent qui glissait sur mon feutre, j’ai refait une marche et là, je me suis fendue en jetant énergiquement la lettre en l’air avant que de reprendre ma position de garde.
Ne croyez pas que la lettre soit montée vers les cieux comme par magie. La magie n’existe pas, seule la gravité compte sur cette Terre. Ma lettre a donc pris un léger envol sur un petit courant qui passait par là puis est tout naturellement tombée sur le gazon de mon jardinet. J’ai repris mon souffle, gardé quelques instants ma position de garde, guettant une possible réaction, bruit, signe, puis je me suis relâchée quand j’ai vu que rien ne venait. J’ai ramassé la lettre (sinon, ce n’est pas écologiquement responsable), et je suis rentrée me faire une bonne tisane bien chaude.
Quelques jours plus tard, j’ai senti une jolie migraine m’envahir. J’ai alors compris que Lelahel essayait de me répondre par réseau médiumnique. J’ai beau lui répéter qu’avec moi cela ne fonctionne pas, il continue à tenter de communiquer avec moi par ce biais. Au final, j’en ai été pour trois bons jours de migraine et une boîte complète d’ibuprofène.
Et puis, hier matin, Annie, la factrice, est arrivée avec sa jolie petite voiturette électrique jaune et s’est arrêtée devant chez moi. On a papoté un moment. Elle m’a notamment fait jurer-cracher d’aller rendre visite à Madame Huguette au hameau du dessus car elle s’est fracturé la hanche et, je cite, « ce n’est pas de la tarte et elle vous apprécie tellement ». J’ai promis que j’apporterai bien vite une tarte, justement, à Madame Huguette pour la consoler et aussi que j’aiderai Brandon, le fils d’Annie à revoir son anglais, et elle m’a remis mon courrier.
Dans le tas de publicité et autres factures, je découvris alors une lettre toute simple mais avec un beau timbre. Je l’ouvris et je fus heureuse de voir que c’était Lelahel qui m’avait écrit. Il sait que je suis une vieille chouette qui collectionne les timbres et je fus touchée par sa gentille attention. Je dois dire que ça m’a fait chaud au cœur.
Mais, j’arrête là mon récit et je vous transmets donc les nouvelles du monde céleste que m’a relatées Lelahel. D’abord, sachez que tout le monde va plutôt bien au Paradis, ce qui est le plus important. Lelahel lui-même semble tout à fait en forme. Il est missionné avec Jéliel et Saint Pierre sur une sombre affaire de commerce de miel frelaté qui a l’air de bien l’occuper. D’après ce que j’ai compris, un retiré aurait mis en place un système pour vendre aux anges du miel coupé au glucose. Sauf que cela n’a pas tout à fait le même effet sur les anges et que cela fait pas mal de bazar. Il semblerait que le miel coupé au glucose pousse les anges à parler verlan ou javanais. Apparemment, c’est un vrai souci pour la coordination des tâches au sein du Paradis. Lelahel, Jéliel et Saint Pierre avancent dans la traque du retiré à l’origine du trafic et tentent de bloquer les livraisons mais cela semble assez compliqué. Lelahel ne s’est pas étendu, mais bien entendu je pourrais lui demander des éclaircissements si vous le souhaitez.
Autre nouvelle : Sainte Thérèse a dû agrandir son service. Saint Antoine a donc annexé une partie du Nouvel Eden pour créer un bâtiment temporaire susceptible d’accueillir les terrestres en souffrance psychique. Sur ce point, je ne suis pas surprise. Encore une fois, Noël arrive et a été précédé d’un « Black Friday » qui ferait devenir fou n’importe quel grand sage, à moins qu’il ne soit ermite. Savez-vous que même le vendeur de foie gras à côté de chez moi a organisé un « Black Friday » ? J’ai vu ça en allant à la station-service l’autre matin quand je cherchais désespérément à remplir mon réservoir de Sans Plomb 95-E10.
Enfin, apparemment en Enfer, c’est rude. Belzébuth a une rage de dents depuis une semaine et ne décolère pas. Il est convaincu que quelqu’un lui a jeté un sort. Il est tellement en colère que Masmeta a déjà dû changer quatre fois le mobilier du boudoir rouge. Il est même allé se plaindre à Ilelle en dénonçant, je cite « un attentat aux ténèbres inacceptable ! ». Selon Lelahel, Ilelle lui aurait répondu que « qui sème l’obscurité, récolte la douleur » ce qui n’a pas arrangé sa rage de dents, semble-t-il. Il me prévient qu’en tant que terrestres, il n’est pas impossible que nous subissions quelques effets collatéraux. En somme, chers lecteurs, je vous conseille de vous méfier plus que jamais des moucherons, limaces et autres coccinelles « trop mignonnes » pendant les quelques semaines qui viennent.
Voilà, vous savez tout. Vous êtes informés de l’actualité du monde céleste.
Je n’ai pas eu de nouvelles de Sainte Eulalie. J’en demanderai la prochaine fois. Mais, là, je dirai bien à Lelahel de ne pas chercher à me répondre par voie médiumnique !
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