J’ai beau être une vieille chouette qui aime l’odeur de l’encre et du papier, les contes et les légendes, et les thés à la bergamote, j’ai la chance, de par mon activité professionnelle, de côtoyer une grande variété de personnes de générations et d’origines différentes. Ceci m’amène régulièrement à sortir de ma zone de confort et à faire des rencontres marquantes. C’est typiquement ce qu’est la lecture de Solo Leveling : une rencontre marquante. Conseillée par une jeune collègue, qui m’en parlait comme le phénomène à lire aujourd’hui, j’ai rapidement compris pourquoi en lisant ce manhwa.
Le manhwa est le nom donné à la bande dessinée Sud-Coréenne. On trouve évidemment une proximité dans le style avec le manga japonais. Toutefois deux choses s’en distinguent assez clairement : d’abord le manhwa est imprimé dans le sens de la lecture classique des européens, ensuite les personnages sont beaucoup plus identifiables que dans les mangas. C’est-à-dire que les dessins des personnages, de leurs vêtements, leurs traits sont plus précis que dans les BD Japonaises. Et c’est la première raison pour laquelle, je vous conseille de lire cette BD : pour découvrir la BD Sud-Coréenne et sa spécificité.
La deuxième raison, c’est d’appréhender ce que produit aujourd’hui l’industrie du smartoon et du webtoon. Aujourd’hui, de très belles œuvres sont produites et mises à disposition en auto-édition sur des plateformes de manga/manhwa sous la forme de smartoons et/ou webtoons. Deux plateformes sont particulièrement connues en France et « scrollée» par les ados et jeunes adultes : Webtoon et Piccoma. La lecture se fait de haut en bas en faisant dérouler les pages web avec le doigt (d’où le verbe scroller de l’anglais to scroll, vous suivez ? 😉). Sur ces plateformes des auteurs de bande dessinée proposent des séries à la chaîne dans tous les genres et pour tous les âges. Solo Leveling est issu de cette industrie du smartoon et a ensuite connu la consécration en étant publié en ouvrage papier. En France, sa traduction est disponible aux éditions Delcourt dans la collection KBooks.
La troisième raison de lire Solo Leveling, c’est évidemment le graphisme. La production papier garde le dynamisme et l’énergie graphique issue du smartoon d’origine. Les dessins sont époustouflants de couleur, de précision, de mouvement… La lecture de ce manhwa, c’est avant tout la plongée dans un univers graphique très complet, totalement immersif et très proche de l’expérience de la réalité augmentée ou du film.
Enfin, la quatrième raison, peut-être la plus importante à mes yeux, c’est le scénario et ce qu’il dit de notre société. Le fait que Solo Leveling trouve un tel écho dans la génération des 14-25 ans pousse vraiment à rentrer dans le scénario et à comprendre la projection que cette génération peut y faire sur ce qu’elle vit aujourd’hui.
La base du scénario en elle-même est assez classique : c’est un individu qui, du fait des circonstances, va devoir affronter des montres et des démons et donc mener les combats les plus violents et dangereux possibles. C’est le classique rôle du manga : le défouloir imaginaire de sociétés très corsetées. C’est aussi le schéma classique des nekketsus : un jeune homme qui par sa seule volonté va réussir à atteindre sa quête (ici sortir sa mère du coma).
Toutefois, Solo Leveling peut aussi être lu avec un second niveau de lecture. Nous sommes dans une société qui s’est totalement délitée : des espaces se sont créées (les donjons) qui permettent à des monstres venus d’autres univers de rejoindre notre réalité. Au moment de l’apparition de ce phénomène, un certain nombres d’humains ont reçu ce qui est appelé « L’Eveil » et sont devenus des êtres particuliers disposant de pouvoirs permettant soit de vaincre les monstres (les chasseurs), soit de guérir les blessures des monstres (les guérisseurs). En parallèle d’autres humains, eux, ont sombré dans « Le grand sommeil », une sorte de coma très profond. Les gouvernements n’ont plus aucun pouvoir. Seules vont dominer les guildes de chasseurs des différents pays.
Le héros (Sun Jin Woo) est un chasseur du rang le plus faible qui accepte de chasser uniquement pour payer les frais d’hôpital de sa mère, tombée dans le grand sommeil et les études de sa sœur. Il est « le plus faible de tous les chasseurs sud-coréens », jusqu’à ce qu’il rentre dans un donjon et meurt. Il renaît mystérieusement quelques jours plus tard à l’hôpital en ayant accès à une interface de jeu vidéo que lui seul peut voir. Il accepte alors de devenir le jouet de cette interface et d’acquérir de plus en plus de force, d’intelligence et de performance pour mener sa quête.
C’est là, où le scénario prend une dimension beaucoup plus profonde et pose des questions très actuelles. Dans un monde où toutes les institutions sont défaillantes, vers qui peut-on se tourner pour survivre et sauver les siens ? Quelle place devenons-nous laisser aux technologies dans notre vie ? Comment concilier notre libre arbitre, notre humanité et la question de notre survie ? Quelle place accorder au collectif quand il s’agit de se sauver et de sauver les siens ?
Lire Solo Leveling, c’est pour moi, l’expérience de me confronter à ces interrogations qui trouvent un écho très fort chez les 14-25 ans et ne sont pas celles de ma propre génération qui, elle, voulait se jouer des institutions et donc y croyait encore. C'est aussi approfondir une réflexion que je pose dans "Par les tresses de Sainte Eulalie": comment décider et agir quand les institutions qui devraient nous guider et nous protéger ne jouent plus leur rôle?
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